Santé

Non, arrêter l’alcool ne rend pas « chiant », contrairement à ce que dit Léa Salamé

ALCOOL – « Tu refuses un verre et tout de suite, on te dit que t’es relou, que tu ne sais pas faire la fête… » Quand Lina* a arrêté l’alcool, les réflexions se sont mises à pleuvoir. Des occasions entre amis aux soirées entre collègues, « on associe beaucoup trop la sobriété au fait d’être nul, à l’ennui », déplore la trentenaire. Et ce, jusque sur les plateaux TV – notamment celui de Quelle Époque ! du samedi 27 avril.

Face à l’acteur Artus, l’animatrice et journaliste Léa Salamé ne s’est en effet pas privée d’une petite remarque sur sa sobriété. Alors qu’il expliquait avoir calmé ses angoisses en arrêtant de boire et de fumer, la journaliste lui a répondu « Ah, vous êtes devenu chiant », suscitant quelques rires dans le public. Une « blague » qui a rappelé des mauvais souvenirs aux personnes sobres et qui a exaspéré bien des spécialistes en santé publique. Quatre d’entre elles ont témoigné pour Le HuffPost.

Une manière de mettre la pression

Il y a un an, quand Lina a commencé à parler d’un éventuel arrêt de l’alcool à ses proches, nombre de réponses se sont avérées très éloignées du soutien attendu. « Des potes m’ont dit “Tu ne vas quand même pas arrêter de boire avant mon enterrement de vie de jeune fille”, “Tu ne vas quand même pas ne pas boire à mon mariage”, se souvient-elle. Même mes collègues me disaient des trucs comme “Ne nous fait pas ça, il faut que tu boives avec nous pendant le week-end de team building”. » Une pression difficile à surmonter pour la jeune femme, et qui a perduré quand sa sobriété est devenue officielle quelques mois plus tard.

« Ça peut énerver certaines personnes qu’on arrête de boire, comme si d’un seul coup, parce que tu refusais de te mettre une caisse, tu n’étais plus un bon camarade », raconte Lina. À elle aussi, on dit parfois qu’elle est « chiante ». Une certaine idée de la fête, très courante en France, qui passerait forcément par l’ébriété.

En France, 10 % des adultes boivent tous les jours

« En France, on considère que boire de l’alcool est normal », explique Maria Melchior, directrice de recherche à l’INSERM. Une banalité confirmée par les statistiques : 86 % de la population française adulte boit de l’alcool. « C’est considéré comme faisant partie du mode de vie, de l’identité française. Il y a une tradition viticole et certains hommes politiques n’hésitent pas à défendre l’alcool publiquement, en parlant de leur consommation personnelle », raconte la chercheuse. Surtout, on l’associe à la convivialité. « On boit de l’alcool quand on est joyeux, pour faire la fête, on vend même des jus de pommes pétillants qui ressemblent à du champagne pour les enfants. Ne pas boire, ce serait se priver de tout ça, empêcher la joie et les festivités. »

D’ailleurs, Maria Melchior le rappelle, la consommation d’alcool est très liée aux normes sociales, surtout à l’âge des premiers verres à l’adolescence. « On ne commence pas à consommer tout seul, on fait ça dans un groupe, parce que tout le monde le fait. Y compris chez les adultes, être entouré de gens qui valident la consommation d’alcool et y participent la favorise. » Une normalisation qui ne doit pas cacher que 10 % des adultes en France boivent de l’alcool tous les jours, et que le même pourcentage a probablement un problème de dépendance à l’alcool, selon la chercheuse.

« J’étais bien plus chiante après plusieurs bières »

La dépendance n’est pas le seul problème de santé publique lié à la consommation d’alcool. Le Dr Mélissa Mialon, chaire de professeur junior à l’INSERM, en énumère bien d’autres. « Il y a 49 000 morts imputables à l’alcool chaque année en France. L’OMS est très claire, dès la première goutte d’alcool, quel que soit le type d’alcool, le risque de cancer augmente. Il y a aussi les maladies cardiovasculaires, les accidents de la route, les violences conjugales… Les conséquences pour la santé individuelle et collective sont assez catastrophiques, et il n’y a pas de consommation sans risque. »

Autant de données qui peinent à être intégrées en France, malgré les tentatives de sensibilisation. Spécialiste des « déterminants commerciaux de la santé » – soit, entre autres, du rôle des lobbies – Mélissa Mialon en sait quelque chose. « Derrière la consommation collective d’alcool, il y a des lobbies avec une très grande force. En France, on pense que c’est notre culture de boire mais c’est aussi parce que derrière, il y a une industrie qui se bat contre les changements de consommation, on l’observe dans nos recherches. »

Autant de raisons qui font que quand Mathilde est tombée sur les propos de Léa Salamé, elle a été « très agacée, mais pas vraiment surprise ». « Il n’y a rien de transgressif à boire de l’alcool, l’inverse l’est bien plus à mes yeux », explique la trentenaire qui a arrêté de boire il y a huit mois. D’ailleurs, elle se dit « beaucoup plus chiante » après plusieurs verres de bière ou de vin que de soda. « En étant sobre, j’ai été frappée par la façon dont les gens se comportaient en état d’ivresse. La diction qui traîne, les propos répétés en boucle, le fait qu’ils n’étaient plus capables de m’écouter entièrement, etc. Lorsque je sors et que je suis sobre, je me trouve beaucoup plus drôle, spontanée, en forme, pleine de répartie, et beaucoup plus attentive à tout ce qu’il y a autour de moi », conclut-elle.

* Le prénom a été modifié

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