Avec le Paris FC en Ligue 1, un autre terrain de soft-power s’installe dans la capitale
GEOSTRATÉGIE – Quand la famille Arnault s’allie à Red Bull pour racheter le Paris FC, ce n’est pas qu’une simple affaire de gros sous. C’est un coup de théâtre dans le football français… et un match diplomatique à part entière. Car derrière cette opération, c’est une vieille rivalité du Golfe qui s’invite sur le terrain.
Si le Qatar est bien ancré à Paris depuis 2011, Bahreïn avait investi à sa manière, symbolique et prudente, au Paris FC en 2020. L’arrivée de nouveaux investisseurs sonne l’heure du projet rêvé pour Manama. « Bahreïn a vite compris la dimension que prenait le projet. Les 15% de parts qu’ils détenaient étaient symboliques, il y a eu plus de résistance de la part d’autres actionnaires », indique Pierre Ferracci, président du Paris FC.
Bâti sur des bases saines, le Paris FC s’est reposé sur Bahreïn pour se structurer lors de ces quatre dernières années. Son budget est passé de 14,5 millions avant l’arrivée des Bahreïnis à environ 25 millions en 2023-2024, selon L’Équipe et Eurosport. Le Paris FC avait tout pour connaître tôt ou tard une accélération dans son projet, et conjuguer réussite économique et géopolitique. Alors pourquoi le prince Nasser ben Hamed Al Khalifa, président du conseil de la Jeunesse et des Sports, décide de quitter le capital du club au moment où tout s’accélère
Rivalité régionale et sportwashing
Le fonds souverain bahreïni avait investi, toujours selon le quotidien, 5 millions d’euros en 2020 pour acquérir 20% de parts dans le club qui siège désormais à Orly (Val-de-Marne). Une maigre somme face au milliard d’euros dépensé au PSG par son rival régional, le Qatar. Pourtant cet investissement, aussi faible soit-il, est aujourd’hui en mesure d’embêter Doha. « La rivalité remonte aux luttes princières des Al-Thani (Qatar) face aux Al-Khalifa (Bahreïn). Une rivalité d’ego subsiste encore du côté de Manama », pose Raphaël Le Magoariec, géopolitologue spécialiste du Golfe.
À ce jour, après la colonisation britannique et les luttes territoriales autour d’Al-Zubarah et des îles Hawar, les tensions restent vives. Bahreïn, globalement aligné sur les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, voit d’un mauvais œil l’influence régionale et mondiale du Qatar. Manama avait par exemple participé au blocage diplomatique de 2017.
Avec la montée des investissements dans l’univers du sport, l’arrivée de Bahreïn à Paris n’avait rien d’un hasard. Il faut cependant relativiser son importance. L’objectif n’était pas de faire un PSG-bis. « J’ai personnellement effectué les démarches pour proposer au Royaume de Bahreïn de rejoindre notre projet, rappelle Ferracci. Ils ne sont pas venus toquer à la porte directement. » Un investissement qui se révèle particulièrement intéressant à l’heure du rachat, alors que la pétro-monarchie ne peut pas rivaliser avec la manne financière de ses concurrents régionaux. Le pays compte un PIB de 43 milliards de dollars en 2023, contre plus de 194 milliards de dollars pour le Qatar, d’après les chiffres de la Banque mondiale.
Bahreïn tente malgré tout d’améliorer son image internationale, souvent critiquée pour ses manquements aux droits humains. « Cheikh Nasser s’occupe du volet sportif au Bahreïn, mais c’est également un militaire réputé pour ses méthodes répressives, précise Raphaël Le Magoariec. Investir au Paris FC n’est pas un hasard, mais il adopte plus une posture, qu’un véritable moyen de rivaliser. » Alors que pour Antoine Arnault, la volonté est de « rendre à la société ce qui leur a été donné », comme il l’a déclaré en conférence de presse.
Paris, un acteur clé
Ce rachat du Paris FC dépasse ainsi le simple cadre d’une rivalité entre deux pétro-monarchies : il illustre parfaitement la manière dont le « sportwashing » s’articule autour d’intérêts partagés, mêlant enjeux d’image, pouvoir et influence.
L’arrivée d’investisseurs comme la famille Arnault et Red Bull aurait pu inciter Bahreïn à rester actionnaire du club, afin d’optimiser sa réussite financière. Mais le choix de vendre ses parts s’inscrit dans une négociation plus large entre des partenaires qui collaborent par ailleurs sur d’autres terrains, notamment en Formule 1, où LVMH est partenaire et où Bahreïn accueille un Grand Prix.