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De « geek » à « boxeur », la deuxième puberté des youtubeurs pour le DTR Fight

RÉSEAUX SOCIAUX – Après le GP Explorer de Squeezie, ou le Pétanque Explorer de Mcfly et Carlito, il est l’heure d’en venir aux poings. Ce samedi 7 décembre, 10 créateurs de contenu vont monter sur le ring de la Défense Arena pour le DTR Fight, un gala de boxe anglaise organisé par le streamer Billy, alias Rebeudeter sur les réseaux sociaux. Mais avant de s’affronter devant des dizaines de milliers de spectateurs, les participants ont accompli d’époustouflantes transformations physiques, qui tiennent moins de l’entraînement que d’un rite initiatique – voire pire.

Car si parmi les 10 combattants, certains étaient déjà adeptes des sports de combat, tels que le youtubeur GregMMA, tous se sont entraînés au cours des 8 derniers mois afin d’être prêts pour le jour J. Camps d’entraînements à Madrid et Marrakech, sessions de sparring et de renforcement musculaire, le tout consciencieusement vloggé sur chacune des chaînes des participants pour leurs millions d’abonnés cumulés.

Des miniatures, montrant des visages déterminés et des bras musclés, jusqu’aux titres dramatiques (« Du SANG et des LARMES », « 1 semaine pour devenir un monstre de la boxe »), leurs vidéos vantent toutes l’impressionnante transformation des boxeurs en herbe. Et pour cause : dans le sillage des américains Jake et Logan Paul, youtubeurs connus pour leurs pranks avant de devenir boxeurs, les vidéos de métamorphose physique se multiplient sur la plateforme.

La mode des transformations physiques

Michou, Mastu, Kaatsup, AmineMaTue ou Inoxtag, le youtubeur célèbre change, mais la formule reste la même : un avant après mettant en scène abdos et musique d’anime. À l’image du DTR Fight, qui réunit 8 hommes et 2 femmes, la plupart des vidéos de transformations physiques populaires sont publiées par des hommes.

« Le premier regard qu’on peut avoir dessus, c’est que ça a l’air de leur faire du bien », décrit au HuffPost Daisy Letourneur, autrice de l’essai On ne naît pas mec et militante de l’association féministe Toutes des Femmes. « Ils sont contents, en tout cas ceux qui y arrivent, parce qu’on entend moins parler de ceux qui n’y arrivent pas. »

Un constat partagé par Thomas, kiné du sport, préparateur physique et cofondateur de la chaîne youtube Training Thérapie. « Je reste plutôt positif là-dessus parce que ça incite les gens à faire du sport », explique celui qui a entraîné Romain alias LeBouseuh, l’un des combattants du DTR Fight. « Après, il faut que ce soit atteignable et réel », affirme-t-il, ajoutant que « la transformation de Romain, c’est 100 % faisable ».

Avec un mot-clef : la discipline. « La transformation physique s’est faite parce que c’est quelqu’un qui est très discipliné », précise Thomas à propos de Romain. Il est loin d’être le seul à voir la discipline comme la clé de la réussite – de nombreux commentaires louent les « belles valeurs » portées par les youtubeurs devenus musclés, entre « travail acharné » et « rigueur ». Jusqu’au fantasme.

« L’esprit shonen » ou la sacralisation de la discipline

Inoxtag l’appelle « l’esprit shonen » (une référence à la culture manga), Thomas préfère parler de « supplément d’âme », mais au fond, le propos est similaire. Pour se transformer, il faut être prêt à repousser ses limites, et donc être discipliné. Le tout truffé de références aux animes tels que Dragon Ball, Naruto ou One Piece, comme on peut le voir sur la chaîne YouTube de Manga Workout, qui a déjà entraîné Inoxtag, AmineMaTue ou encore Billy.

Dans ces mangas, à chaque fois, « c’est l’histoire d’un jeune garçon qui veut devenir le meilleur dans son domaine. Il va s’entraîner, se pousser au max jusqu’à souffrir énormément », décrypte Daisy Letourneur. Une « obsession de la discipline particulièrement masculine » donc, qui montre l’homme comme celui « qui se contrôle, qui ne montre pas ses émotions et qui endure ».

« Il y a cette idée que la discipline est une bonne chose en soi, alors qu’il faudrait plutôt la considérer comme un moyen vers une fin», analyse l’autrice. Échouer à transformer son corps, c’est donc ne pas être assez discipliné, et être voué à rester dans son physique de « geek », comme s’auto-décrivent plusieurs youtubeurs au début de leur métamorphose.

« Tu peux atteindre ce corps si tu fais assez d’efforts. Et si tu ne fais pas assez d’effort, c’est de la faiblesse de ta part », décode Gabriel Knott-Fayle, chercheur postdoctoral en études de la masculinité à l’Université de Calgary. Un discours qui en appelle souvent un autre.

Un discours néolibéral tendance conservateur

« On pourrait raccorder ça à un discours assez capitaliste et néolibéral de concurrence avec soi-même », rajoute Akim Oualhaci, sociologue et maître de conférences à l’UFR Staps de l’Université Paris Nanterre. « Le recours abusif à cette idéologie du self-made-man, ça masque beaucoup d’inégalités, de rapports de domination ».

Si ces vidéos de transformation physiques – monétisées – se veulent inspirantes, le discours bien rodé sur la discipline et le dépassement de soi prend des airs de développement personnel. Avec comme valeurs des idées assez étroites de ce que devrait être un homme, où « la misogynie, de l’homophobie et la transphobie en ligne » sont parfois présentes, précise Gabriel Knott-Fayle.

Un exemple ? « Chez beaucoup d’influenceurs d’extrême droite, il faut se muscler pour faire face à un monde violent, notamment pour se défendre face aux immigrés », appuie Daisy Letourneur, en référence au Raptor, youtubeur de la fachosphère fan de muscu.

Et si bien évidemment, se muscler n’est pas synonyme d’appartenance à l’extrême droite, en avril 2024, une étude de la Dublin City University montrait que les comptes TikTok et YouTube identifiés comme « masculins » car consommant du contenu lié au sport ou aux jeux vidéo, étaient rapidement bombardés de vidéos masculinistes par les algorithmes. De quoi se rappeler qu’il est facile de tomber dans un puits sans fond de contenu en ligne – et de ne pas en ressortir.

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