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Pour les joueurs pro, « c’est une nécessité de parler d’homophobie dans le football »

FOOTBALL – Trois jours après les faits, le soufflé n’est pas encore retombé. Le PSG sera au cœur des débats ce mercredi 27 septembre, dans la soirée, à l’occasion de la réunion de la commission de discipline de la LFP.

Dimanche lors de PSG-OM en Ligue 1, des chants homophobes très audibles avaient été entonnés pendant près de 15 minutes, lancés par les supporters ultras du virage Auteuil. Des joueurs parisiens – dont les internationaux Ousmane Dembélé et Randal Kolo Muani – avaient aussi été filmés en train de reprendre des chants injurieux avec leurs supporters lors de la célébration d’après-match.

Avec la caisse de résonance liée à l’affiche la plus suivie du championnat, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra est montée au créneau, notamment mardi quand elle a déclaré sur RMC Sport que « ce qui est important, c’est d’avoir des sanctions individuelles tournées contre les personnes qui lancent ces chants depuis les tribunes ».

L’occasion d’un tournant important dans la lutte contre l’homophobie dans les stades ? Le HuffPost a donné la parole à Yoann Lemaire, fondateur de l’association « Foot ensemble » qui lutte contre l’homophobie dans le football, et auteur du documentaire Footballeurs et homos : au cœur du tabou (2018).

Depuis fin 2021, comme c’est le cas pour plusieurs autres associations (SOS Homophobie, Panamboyz & Girlz United…), il se déplace dans les clubs de Ligue 1 et Ligue 2 pour sensibiliser joueurs pro, jeunes du centre de formation, dirigeants et supporters sur un sujet de moins en moins tabou.

Le HuffPost : Quel est votre ressenti après les longs chants homophobes entendus dimanche soir au Parc des Princes ?

Yoann Lemaire : C’était long et on ne pouvait pas ne pas l’entendre, c’était vraiment violent. C’est franchement fatigant parce que ça traîne, ça existe depuis longtemps et ce n’est pas près de s’arrêter. Ce n’est plus un sujet qui est tabou l’homophobie : les journalistes en parlent, la LFP fait des actions, les clubs savent, tout le monde sait, et malgré tout, on lance quand même ce chant. Toutes les tribunes plus ou moins, même des VIP, reprennent.

Le problème est-il insoluble chez certains supporters ?

Il y a vraiment un problème pédagogique, culturel. On est là pour humilier, on n’est pas là pour supporter. On est là pour se défouler, on éteint notre cerveau. On s’amuse, on se rassure, on se sociabilise les uns les autres à insulter l’autre. Celui qui est au milieu, qui s’en fout, le fameux supporter qui dit « je ne suis pas homophobe, mais ça m’embête qu’on n’arrête pas de parler de ça », c’est celui-là qu’il faut essayer de récupérer pour ringardiser les autres supporters.

Que vous répondent les joueurs lors de vos déplacements dans les clubs professionnels ?

On va les voir et on leur demande : « pourquoi lutter contre l’homophobie ? Vous en pensez quoi ? On a besoin de vous, vous avez des responsabilités à montrer auprès des jeunes, au public ». J’ai fait le club de Lyon il n’y a pas longtemps. Bien qu’ils étaient dans une passe très difficile sportivement, on a eu une heure d’échanges avec les joueurs pro qui s’est super bien passée. J’ai été hyper surpris et j’ai eu chaud au cœur. Les joueurs le disent, c’est une nécessité pour eux de parler de ça. Au début j’avais des doutes, mais maintenant, tous les clubs demandent. C’est une discussion où on se dit tout, il n’y a pas de caméras, pas de photos, on ne communique pas dessus ensuite, mais on vient vous écouter et vous allez aussi nous écouter. Il n’y a jamais d’engueulades, mais des fois, on voit que c’est nécessaire de le faire chez certains.

Comment se passent les échanges avec les groupes de supporters ?

On discute avec les gens influents chez les supporters, notamment ceux qui lancent les chants qu’on appelle les « kapos ». Il faut travailler avec eux. Je ne dis pas que ça marche tout le temps, mais au moins, on a une discussion avec eux et on comprend leurs réponses, car ils ont des arguments qu’il faut écouter. Je suis pour qu’il y ait des discussions avec eux et aussi avec les présidents d’associations de supporters, qu’ils comprennent les choses. Et s’ils assument pleinement qu’ils ne veulent pas écouter et continuer à lancer leurs chants homophobes, oui, il y a des sanctions qui doivent être mises, individuelles, sinon on ne peut pas continuer. Ce n’est pas à la LFP de gérer ça, c’est à l’État, à la justice.

N’est-ce pas trop compliqué de sanctionner des personnes individuellement quand parfois les chants sont lancés par des dizaines de supporters à la fois, sans forcément l’aide du « kapo » ?

J’ai fait un certain nombre de clubs cette année, notamment de gros clubs de Ligue 1, où le directeur de la sécurité du stade me dit que parfois, les insultes homophobes descendent de la tribune VIP ou de la tribune familiale… Des « kapos » me disent aussi que quand ils entendent des supporters dans le stade lancer des insultes ou des débuts de chants homophobes, ils essayent de faire du bruit, de chanter autre chose pour couvrir ça. Et cela peut donc venir de la tribune d’honneur, avec des chants repris par des gens qui la composent.

J’ai cet exemple à Strasbourg où le directeur de la sécurité du stade, qui est convaincu de la lutte contre l’homophobie, constate que parfois, les chants descendent d’autres tribunes que celle des ultras et que c’est difficilement gérable. Qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là ?

Concrètement, quel travail devraient faire les clubs pour lutter contre l’homophobie ?

À un moment, il faut que les clubs s’investissent plus avec leur référent supporters, celui qui fait le lien entre le club et les supporters. Parfois, celui-ci est salarié par le club, parfois il est bénévole. Je mets le doigt dessus car il y a un problème là. Parfois, vous avez des gens formidables qui font un travail remarquable, parfois vous avez des gens qui n’en ont rien à cirer, notamment sur l’homophobie.

Il faut vraiment qu’il y ait un gros travail de fait avec l’Association nationale des supporters (ANS), l’Instance nationale du supportérisme (INS), les présidents des associations de supporters, les « kapos », les référents supporters et les clubs. Ce type de réunion avec toutes ces parties, ça s’est déjà vu au ministère des Sports. Mais cela part à chaque fois dans tous les sens, avec aussi des spécialistes, des sociologues, des intellectuels… Les supporters ont fini par boycotter.

Voyez-vous des progrès faits dans les clubs par rapport à il y a cinq ans ?

Les clubs en parlent de plus en plus, ce n’est plus tabou, ce n’est plus sous le tapis. Les médias en parlent aussi de plus en plus, ils vérifient et viennent nous voir. Les joueurs pro, on en parle avec eux en toute liberté, ça c’est nouveau. En 2018, quand j’ai fait mon documentaire, aucun joueur n’en parlait. Désormais, ils le font sans souci parce que pour beaucoup d’entre eux, dès le centre de formation, on y fait plein d’actions pour lutter contre l’homophobie.

Mais en face, vous vous retrouvez aussi face à un conservatisme qui revient de plus en plus, qui sont les traditions, les religions, les cultures, l’éducation. D’un côté, on avance très bien parce qu’il y a plein de personnel dans les clubs qui veulent faire avancer les choses et de très bons gamins ouverts, mais en face, vous avez énormément de personnes qui se disent religieux, appuient là-dessus, et la situation reste extrêmement fragile.

Et chez les supporters ?

Je suis mitigé. Il y a des avancées car on rencontre plein de « kapos » qui ne lancent plus de chants homophobes. Ils nous disent : « PD ça nous gêne, on ne le fait plus, on ne le dit plus ». Par ailleurs, le problème dans les tribunes ne s’amplifie pas par rapport à il y a cinq, dix ou quinze ans. Mais ça reste encore fragile car l’homophobie reste taboue chez certains, qui entretiennent la provocation en tenant le discours : « on en fait trop pour les gays, il y a un lobbying gay ». Avec eux, c’est compliqué et les échanges sont de plus en plus difficiles.

Le championnat français est-il en avance en Europe sur la lutte contre l’homophobie ?

En France, les clubs doivent faire des efforts sur certaines choses pour marquer des points en faveur du financement de leurs droits télé : l’environnement, le stade, le centre de formation, et là, en l’occurrence, la lutte contre l’homophobie auprès des supporters, des joueurs. Ça, on ne le voit nulle part ailleurs en Europe. On nous dit que c’est du « pink-washing », que ça ne sert à rien. Alors que regardons ce qui se passe Belgique, en Allemagne, en Italie, en Hollande, on ne verra pas un dixième de ce qui se passe en France.

Je vous cite une preuve très claire : la journée que la LFP organise avec les maillots arc-en-ciel, la communication, les changements de logo avec les couleurs arc-en-ciel… On ne voit pas ça ailleurs.

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