Derrière la question des SUV, le poids des voitures n’est pas qu’une lubie politique
ENVIRONNEMENT – « Plus c’est gros, plus ça pollue », justifiait début décembre la maire socialiste de Paris Anne Hidalgo. Les Parisiens voteront ce dimanche 4 février pour dire si oui ou non ils souhaitent le triplement des tarifs de stationnement pour les voitures « individuelles lourdes, encombrantes, polluantes », de type SUV (« Sport Utility Vehicle » en anglais). Or cette question du poids des véhicules n’est pas seulement une lubie politique à l’échelle parisienne, mais est au contraire centrale à l’heure de la transition énergétique.
De fait, les SUV ont inondé le parc automobile mondial, et représentent la moitié des véhicules neufs vendus dans le monde. En Europe, ils ont même dépassé la barre des 50 %. Cette popularité a malheureusement un coût environnemental important, les SUV émettant en moyenne 20 % de CO2 de plus que les berlines, a rappelé le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Fatih Birol, dans Les Échos. La faute à leur poids supérieur de 300 kg à une berline, car plus une voiture est grosse, plus elle consomme.
Par ailleurs, un SUV électrique, dont la batterie est automatiquement plus volumineuse, nécessite pour sa construction trois fois plus de métaux rares, comme le cuivre, le nickel, ou le cobalt, qu’une voiture plus légère, selon une étude de l’ONG WWF, sortie le 9 novembre. « Il existe déjà une tension sur l’offre en métaux critiques, qui risque de s’accroître à court terme et de retarder, sinon de compromettre, la décarbonation du secteur automobile », appuient les auteurs du rapport.
Plus grosses, plus vides
Au-delà des SUV, la prise de masse des véhicules est un phénomène global depuis un demi-siècle. Leur poids a en effet augmenté de « 62 % », leur largeur de « +14 % », leur longueur « +3 % », et leur hauteur de « +21 % » entre 1960 et 2017, note Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports, comme vous pouvez le lire dans le thread ci-dessous, qui déplore que « toutes ces hausses ont limité les gains d’efficacité énergétique ».
Mais pourquoi les voitures sont-elles devenues obèses ? Dans les années 1990, elles ont d’abord pris un peu de poids avec les normes anti-pollution imposées par l’Europe, comme le pot catalytique pour filtrer les gaz d’échappement les plus toxiques, explique Le Monde dans une vidéo publiée vendredi. Puis, dans les années 2000, les équipements de sécurité ont encore alourdi nos voitures, précise Aurélien Bigo au HuffPost.
À cela s’ajoute un cercle vicieux : pour justifier la hausse des prix des voitures liés à l’augmentation des normes environnementales et de sécurité, les constructeurs ont ajouté des gadgets et autres équipements de luxe pour séduire les consommateurs. Nos voitures sont par conséquent devenues encore plus lourdes, et encore plus chères.
Le plus « grand paradoxe » poursuit l’auteur de Voitures – Fake or not ?, « c’est que malgré ces changements de dimensions, les voitures transportent moins de monde ». Dans les années 1960, on comptait environ « 2,3 passagers par voiture », contre « 1,58 aujourd’hui ».
Les SUV annulent les gains de l’électrique
Et sur le long terme, cette prise de poids des voitures pourrait même venir freiner nos efforts en matière de transition énergétique. Effectivement, les véhicules électriques ont la cote en ce moment, et représentent en 2023 plus de 16 % des immatriculations en France. Malheureusement, « tous les gains réalisés [avec les achats de voitures électriques] sont annulés par la croissance de la part de marché des SUV », déplore Jérémie Almosni, chef du service Transport et Mobilité à l’Ademe, dans un rapport paru en 2019.
Dès lors, si l’on fait le constat que les voitures sont trop grosses, comment les mettre au régime ? Première piste : changer la réglementation européenne de 2009 qui autorise les constructeurs de voitures lourdes à émettre plus de CO2. Selon cette norme, les constructeurs automobiles européens doivent respecter une limite de 95 g/km de CO2, mais cette barrière est « modulable » selon le poids.
Une voiture « écologique est un oxymore »
Deuxième piste : travailler sur un nouveau cahier des charges plus strict pour la voiture du futur. Selon le chercheur en transition énergétique Aurélien Bigo, elle devra a minima être électrique bien sûr, mais aussi « plus petite, légère, aérodynamique, sobre en équipements, low tech, facilement réparable », ou encore « bridée à 135/140 km/h ».
Troisième piste : la taxe ou le malus, comme ce sera le cas si les Parisiens votent « oui » à l’augmentation des tarifs de stationnement pour les véhicules lourds dans la capitale. L’automobiliste dont le véhicule thermique ou hybride rechargeable dépasse 1,6 tonne, ou deux tonnes pour un véhicule électrique, devra ainsi payer 18 euros l’heure pour les arrondissements du centre, 12 euros pour les arrondissements extérieurs.
Aurélien Bigo rappelle enfin qu’une voiture « écologique est un oxymore » et qu’il faut surtout travailler sur une dernière piste, celle des « véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture ». Parmi ces véhicules « intermédiaires », qui doivent faire moins de 600 kg, figurent notamment les vélos-cargos, les rosalies, ou encore les voitures électriques sans permis. Ces modes de déplacement, beaucoup moins émetteurs en CO2, sont à « développer à l’avenir pour limiter encore plus fortement l’impact carbone pour les personnes dépendantes d’un véhicule individuel… qui n’est pas forcément une voiture », conclut-il.
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